Cahiers Butor n° 1 : une œuvre en partage

Michel Butor, un homme de revues ? Assurément ; il a participé plus ou moins activement à bien des publications, de La Nouvelle Revue Française aux Cahiers du Chemin en passant par Critique ou Les Cahiers du Sud. C’est que Michel Butor, disparu en 2016 à quelques semaines de fêter ses 90 ans, aura été un homme du partage et de la rencontre. En témoignent également ses compagnonnages avec un grand nombre d’artistes de tous horizons ; en a-t-il côtoyé des peintres, des photographes, des graveurs, des plasticiens et même des compositeurs ! Autant de croisements, de rapprochements, de complicités qui sont au cœur de ce numéro inaugural des Cahiers à lui consacré. Ce faire-avec si cher à Butor,  le philosophe Jean-François Lyotard (1924-1998), son condisciple à la Sorbonne, y voyait une « passion pour l’altérité », dans un entretien datant de 1988, ici reproduit, et réalisé par Mireille Calle-Gruber, une des initiatrices de cette parution au format généreux, 21 x 27, qui paraît à l’enseigne des éditions Hermann. Ce choix d’un grand format permet amplement de faire place aux dessins, photos et reproductions de livres d’artistes que Butor a suscités, inspirés, co-composés. Combien en tout, au fil des années ? Bon courage à celui qui tentera, un jour, d’inventorier exhaustivement toutes ces expériences à plusieurs mains ! L’intéressé lui-même, à qui l’on demandait en 2013 avec combien d’artistes il avait collaboré, était bien incapable de les dénombrer précisément : « Je dirais entre deux cents et trois cents… ». (Une fourchette, soit dit en passant, presque aussi impressionnante que le nombre de ses éditeurs : autour de quatre cents !) Véritables constantes de sa vie, ces convergences créatives, fruits de l’amitié durable et féconde ou de projets occasionnels, expliquent en partie que l’œuvre de Butor soit à ce point polymorphe et polyphonique. Il s’agit d’un univers en perpétuelle expansion, comme s’emploie à le dire à sa façon toute philosophique un des contributeurs : « Pour ce qui est de l’univers Butor, il faudrait donc entendre que cet ‘univers’ n’est ni complet ni désigné tel ou désignable comme un ‘tout entier’, mais proprement ‘tourné tout entier d’un seul élan vers…’, vers un nouvel élan et nouvel état ou une nouvelle étape d’‘unité’, tenu dans et entre-tenu par un mouvement à compléter* ». Œuvre toujours en mouvement, donc, car l’homme avait souvent l’esprit ailleurs, si on peut dire, curieux de tout et de tous, tenté par le dialogue des énergies et des envies communes. Dans ce premier numéro, certains de celles et ceux qui l’ont accompagné un petit bout de chemin, qui ont cheminé à son côté l’évoquent, faisant œuvre d’amitié. Des exercices d’admiration qui voisinent, on l’aura compris, avec des réflexions de facture plus universitaire. Dans tous les cas, ces contributions mises bout à bout répondent à leur manière à cette question, à reposer sans fin puisque sans fonds, que Butor lui-même (se) posait dans l’un de ses poèmes accompagnant des photos-portraits signées Maxime Godard : « Qui est-il ce Michel Butor/qui a rassemblé tous ces mots ». Ce pourrait être, d’ailleurs, l’épigraphe de cette revue nouvelle venue.

 

Anthony Dufraisse

 

* Les italiques ne sont pas de mon fait mais bien de l’auteur de ces lignes, Eberhard Gruber.