Genesis : Défense et illustration de la fabrique du texte en « Écritures jeunesse »

 

 

C’est par un format imposant de deux-cent huit pages, mais souple du point de vue de sa manipulation, que l’ouvrage foisonnant et richement illustré, co-dirigé par Christine Collière-Whiteside et Karine Meshoub-Manière en 2019, intitulé « Écritures jeunesse » numéro thématique 48 de la revue Genesis (Manuscrits – recherche – invention), aux Presses Sorbonne Université Paris, nous initie, fort de ses nombreuses contributions, à l’intérêt et aux innovations apportées par la critique actuelle sur la génétique textuelle en littérature de jeunesse. Les enjeux de celle-ci, les avancées procurées par la consultation des archives, le volume et l’intérêt de ces types de matériaux, la diversité de leurs exploitations et les visées didactiques envisageables mettent en avant la richesse des recherches sur les brouillons, manuscrits, carnets en écritures jeunesse, le pluriel d’écritures rappelant leurs infinies variétés et possibilités, leurs variations génériques et leurs supports dédiés.

 

Les types d’articles sont très différents : approches théoriques, études de cas, entretiens, présentation de sites d’archivage, les genres littéraires abordés également : conte, album, roman, récit illustré, poème. L’ensemble s’appuie sur les brouillons d’artistes, manuscrits, tapuscrits, carnets d’écrivains et d’illustrateurs, chemins de fer, story-board, croquis, esquisses, etc. On peut souligner également l’empan très ouvert de cette recherche qui va puiser ses nombreux exemples dans un rayonnement largement international. L’ouvrage se lit de façon fluide, tant les images, photographies d’auteurs, d’ateliers, de textes, d’illustrations égayent ingénieusement le propos et offrent un éclairage précis et démonstratif des analyses présentées. On est loin d’un ouvrage universitaire aride, sa présentation attrayante est assurément un atout !

 

Le volume offre des études remarquables et tout à fait originales pour les recherches génétiques en littérature de jeunesse, champ jusque-là encore trop peu exploré. Pour n’en citer quelque unes emblématiques du recueil, nous évoquerons l’analyse minutieuse des innombrables versions des Contes des frères Grimm qui montre que ceux-ci réécrivent leurs textes en tentant de s’adresser au plus près du jeune lecteur, n’hésitant pas à les lisser ; les synopsis de Christian Voltz dont nous découvrons les chemins de fer de ses albums dans son atelier ainsi que les étapes de son travail qui expliquent que c’est d’abord le scénario écrit qui prime sur la représentation par les objets ; les dessins et croquis de la féministe Agnès Rosensthiel empreints de sa sensibilité aux questions d’égalité, qui n’hésite pas à mettre à la portée du très jeune enfant un discours sur cette question sociale ; les dessins d’Yvan Pommaux, lui-même photographié dans son atelier –et dont on s’aperçoit avec amusement que ses propres héros, cheveux aux vent, en sont un parfait décalque… ou encore la reconfiguration des codes de la francophonie actuelle en littérature de jeunesse via l’adaptation et la réécriture suivant son destinataire, d’abord djiboutien avec Maryam, fille de Djibouti en 2003, puis français, quinze ans plus tard, sous le titre plus universel d’Amina la migrante.

 

Yvan Pommaux, Genesis n° 48 © Genesis

 

Toutes ces visions offrent une plongée vertigineuse dans la fabrique du texte en posant des questions sur la nature de ceux-ci, sur leurs destinataires, sur leur réactualisation, sur le passage du brouillon au texte définitif, sur les choix des auteurs-illustrateurs en fonction du contexte de publication, sur les demandes éditoriales, sur la relation parfois complexe entre auteur et éditeur. La proximité organisée avec le lecteur par la présence des photographies des auteurs-illustrateurs eux-mêmes qui nous font entrer dans les trésors de leurs ateliers grâce à leurs carnets, brouillons, maquettes permet une entrée sensible dans l’univers intime de chacun d’eux. C’est une des réussites organisée par la présentation matérielle de cet ouvrage.

 

En conséquence, cette remarquable et dense réunion d’articles de chercheurs issus de domaines différents, proposée par Christine Collière-Whiteside et Karine Meshoub-Manière est augmentée d’une bibliographie très conséquente et tout à fait précieuse pour établir un état des lieux sur la recherche actuelle en génétique textuelle, d’une section Varia formée de quatre recensions d’ouvrages critiques en littérature générale, d’une plongée iconographique tout à fait inédite dans les ateliers des illustrateurs et dans les secrets griffonnés de leur textes et images. L’ouvrage met en valeur les infinis potentiels analytiques dans l’étude des textes de littérature de jeunesse apportés grâce au prisme de la génétique textuelle, appelée si joliment « la fabrique du texte. »

 

Ce recueil d’articles met en avant les nombreuses perspectives d’études et de recherches qui restent ouvertes en génétique textuelle. Il donnera, nous l’espérons, des idées aux jeunes chercheurs engagés dans la recherche en littérature de jeunesse, pour peu qu’ils aillent prendre le temps de se plonger dans les trésors des lieux de conservation des manuscrits et des fonds d’auteurs et d’éditeurs, – on y trouve de véritables pépites-, qui sont évoqués ici : l’IMEC (Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine), situé dans la magnifique abbaye d’Ardenne à Caen, le Musée de l’illustration à Moulins, la Cité internationale de la BD et de l’image à Angoulême, le Musée Tomi Ungerer et le Centre de l’illustration de la médiathèque André Malraux à Strasbourg – pour n’en citer que quelque uns en France -, ainsi que de nombreux lieux à l’étranger.

 

Anne Schneider (Maître de conférences en langue et littérature françaises, Université de Caen-Normandie et Présidente de l’Institut International Charles Perrault)