
La répartition des revues n’est pas égale selon les territoires. Des traditions éditoriales locales, des sociabilités intellectuelles, sensibles peuvent déterminer des réalisations, concrétiser des désirs d’échange, d’émulation, de création.
Depuis des années, à partir de la bibliothèque de Bastia, Christian Peri organise une journée de la revue, aux thèmes toujours renouvelés. Il crée en 2023 A Traversa dont nous vous avons rendu compte, et qui fait le lien entre revues méditerranéennes anciennes, et notre époque.
Xavier Dandoy de Casablanca, éditeur (Roba, Doc(k)s, aux éditions Éoliennes) nous livra une belle chronique sur son histoire passionnée avec les revues, dans le numéro 72 de La Revue des revues. Il comptait parmi les invités à l’Hôtel de l’Industrie, au cœur de Saint-Germain-des-Prés, pour un Salon des éditeurs de Corse (16-17 novembre 2024) : nous y avons rencontré Musanostra, revue des lettres et des arts en Corse, publiée par l’association du même nom, depuis 2016, à Bastia.
Alors, quels effets d’écho lorsque nous avons découvert Spirla. Arts Lettres et Idées. Un premier numéro est paru en septembre 2024 : la revue est publiée par l’association Arzilla.
Ce mot nous reste mystérieux (il faudra aller sur le site de l’éditrice pour apprendre), alors que Spirla, dans sa polysémie (dont un préambule à l’éditorial donnera bien des sens), crée du lien autant que la fibule, retient comme l’ardillon, attache à l’instar de l’épingle à nourrice. C’est ce qu’il signifie (et ce qui explique une photographie trouble, presque punk, en pénultième page, d’une bouche féminine, passée au rouge, tenant une telle épingle ; mais non, nous sommes loin des fanzines rocknrollesques). On retrouvera au fil des pages des ponctuations, logos, symboles reliés, fibule et épingle, donc, mais aussi aiguille, yin et yang, nœud borroméen. Ce dernier, objet mathématique autant que symbolique, inspire deux pages où il est expliqué sommairement (« trois cercles noués de telle manière qu’ils tiennent et que si l’on coupe l’un des trois, les deux autres se désolidarisent »), évoquant au passage les îles Borromées, suscitant un développement psychanalytique, à propos de Jacques Lacan.
Car il est question de psychanalyse et aussi de littérature, de poésie, d’arts.
Spirla adopte le format classique d’un A4 de bon aloi. La couverture met en avant ses invité(e)s, et s’orne d’une silhouette élégante, femme nue sculptée ? photographiée ? qui introduit le thème du numéro, « La Courbe », qui sera déclinée en Sciences humaines, Poésie, Récits, Photos, Arts plastiques, Musique. Vingt-deux contributeurs vont s’en charger, au gré des quarante pages, en quatre sections détaillées au sommaire, qui finissent par se mêler…

La première, « Les Épingles », réunit six textes, poèmes et récits, résultant d’un appel à contributions ; la deuxième égrène de la « Poésie », en six parties, commençant par Ariane Dreyfus, répondant elle aussi à l’appel. Son poème inédit, belle dynamique interne, tenant sur une page est précédé d’une présentation, suivi d’un commentaire de Carine Adolfini. Cinq pages concernent Laura Vazquez, son Livre du large et du long (prix Goncourt de la poésie 2023), là aussi une lecture de Carine Adolfini et un entretien avec l’autrice. Les deux pages et demie étonnent de la part de la poétesse, souvent laconique : sa première réponse est « Non, je ne saurais pas vous le dire. » C’est une grande honnêteté qui traverse son œuvre, sa recherche, alors que « Je ne sais pas pourquoi le savoir nous manque. Ça fait partie des choses que nous ignorons. », écrit-elle plus loin, dans cet entretien par messagerie électronique.
« Art » nous apporte peinture (Christine Paoli), photographie (Anthony Mirial), sculpture (marbre sensuel de Marie-Pierre Germain Fortini) et musique (Jean-Claude Paolini). Les portraits et reproductions d’œuvres, en couleur, sont de grande qualité.
En quatrième partie, « De fil en aiguille » rassemble trois auteurs, l’un déjà évoqué, Docteur Alain Wahl pour « Le Nœud borroméen », puis Christophe Di Caro qui développe de la poélosophie (« La Courbe et le ruisseau »), et Sandrine Lascaux « Le pli : Deleuze, Leibniz et le baroque ».
Ce déroulé, à peine explicatif, montre les directions nombreuses proposées par la revue. C’est une forme de générosité, qui donne envie d’aller retrouver ces auteurs, ces artistes ailleurs. Car leurs talents semblent à l’étroit, ici. C’est le paradoxe de ces grandes pages, au textes desserrés, peu denses, où la mise en page, voire la typographie, changent avec les auteurs, créant un trouble dans la lecture.
Mais cela s’apprend, d’être revuiste. Obstinément.
Déjà s’annonce le deuxième numéro, en mars 2025, dont le thème sera « L’attente », avec une invitée, Sophie Loizeau. Alors attendons.
Yannick Kéravec