La moitié du fourbi : haine de la haine

 

La haine est un plat qui ne se mange pas. Il est indigeste, lourd, peu subtil, comme un sujet poisseux et plein d’arêtes. On ne goûte pas la haine, elle vous dégoûte. On n’aime pas la haine, on la hait. Ne serait-ce pas ce que disent en substance, et en chœur, les auteurs du dernier numéro de La moitié du fourbi ?

 

Lisez David Collin (« La fin de la haine ou le début de la fin »), Philippe de Jonckheere (« Le salaud »), Xavier Mussat (« Carnation »), Emmanuelle Pagano (« Lettre à mon arrière-arrière-grand-père ») : l’un assaisonne la haine, tandis que l’autre l’arraisonne, pendant que les quatre la raisonnent , ou tentent de. Car si on ne hait pas sans raison, il n’y a pas de raison de haïr…

 

Au vrai, et pour être tout à fait honnête avec le lecteur, le thème de la revue n’est pas exactement la haine, pas complètement son inverse non plus, plutôt le bâillement, l’insoluble et irrésolu hiatus entre le mot et son idée contraire – que touche à sa manière Hélène Gaudy dans sa réflexion sur Braguino, le film de Clément Cogitore.

 

Marcel Proust

Cela peut autrement prendre la forme d’une fameuse et cornélienne formule, qui donne d’ailleurs le titre-thème du numéro, phrase litote mille fois citée, commentée, « vieux truc oratoire » ici relu et corrigé par Hugues Leroy. Ce n’est pas « l’odieux petit Marcel » (Patrick Varetz) qui dira le contraire, sauf à Albertine bien sûr ! : « Sans doute, de même que j’avais dit autrefois à Albertine : « Je ne vous aime pas », pour qu’elle m’aimât ; « J’oublie quand je ne vois pas les gens », pour qu’elle me vît très souvent ; « J’ai décidé de vous quitter », pour prévenir toute idée de séparation, maintenant c’était parce que je voulais absolument qu’elle revînt dans les huit jours que je lui disais : « Adieu pour toujours ».

 

Jane Birkin & Serge Gainsbourg

 

Plus courte est la formule, meilleure sera la chute : « Je t’aime… moi non plus », ça vous dit quelque chose, non ? On n’a toujours pas compris ce que recouvrait le refrain de Birkin/Gainsbourg, ou alors on ne le veut point entendre. Zoé Balthus reprend l’affaire depuis le début, la rencontre entre une « candide anglaise » et un « français écorché » ; après tout, la réponse est peut-être là, dans l’entre deux langues… À moins qu’elle ne se loge entre les mots et les images. Comme dans la délicieuse bédé d’Étienne Lécroart, un « logo-rallye alphabétique utilisant dans l’ordre tous les mots du Petit Larousse de Poche entre « haine » et « harmonie ». Réconciliant trajet s’il en est.

 

Comment (en) finir avec la haine ? En l’inversant ? la renversant ? Cela ne va pas sans poser questions et problèmes. On trouvera commencement de solutions dans l’entretien que Pacôme Thiellement a accordé à la revue autour de son essai Sycomore sickamour (PUF, 2018). À moins que l’on ne choisisse la méthode Calle (et son projet « Prenez soin de vous »), que Frédéric Fiolof analyse à sa façon, c’est-à-dire sans fioritures, dans le bien nommé « Quitte ou double » qui clôt ce numéro. La « vengeance » est une lettre qui se lit 107 fois. Vous reprendrez bien un peu d’amour ?

 

 

Roger-Yves Roche