Habitante n° 0 : Lanceuse d’alertes de nos futurs possibles

Dans l’époque que nous traversons, des questions reviennent, récurrentes, sous diverses formes, qui joignent l’intime et l’universel, le local et le global… L’épidémie en cours à relativisé des territoires, des façons de penser, de vivre et d’imaginer le futur. Elle ajoute une vibration urgente aux rythmes des transformations du monde. Des revues s’en font la caisse de résonnance.

 

En septembre 2021, « Habiter » était le thème du numéro 167 de la somptueuse 303, la revue des pays de Loire (faisant l’objet d’une présentation au Salon de la revue, notamment avec Frédérique Letourneux, journaliste et Elvire Bornand, sociologue) ; le même mois, Esprit n° 477 titrait « Où habitons-nous ? » en plaçant la question sur des plans philosophico-économiques, politiques, géo-politiques (Michel Agier replace l’habitat précaire de réfugiés dans une histoire – une anthropologie – des installations de populations déplacées)…

 

 

Et ce printemps est apparue Habitante.

 

« À partir d’une collection de lieux, la revue Habitante observe la diversité des manières de penser et construire le monde. De la fiction à la théorie critique, de l’arbre au territoire, de la maison à la (micro)nation, Habitante croise les approches, les sensibilités et les échelles. » (Éditorial, p. 11)

 

Impressions d’écho… impressions, oui, car le propos et la forme nous font penser à Revue Incise, pourtant un peu plus grande (quoique d’un format poche), aussi sobre (quoique s’ornant en couverture d’une belle illustration depuis le numéro 6), faite avec grand soin (quoique sans cultiver la séduction), depuis le Théâtre de Gennevilliers par Diane Scott, déterminée. Et dont la question centrale, dépassant les murs du théâtre est « Qu’est-ce qu’un lieu ? » (Habitante émane, selon la page de garde, des Éditions Présentes, et selon le site https://revue-habitante.fr/ , est intimement liée aux éditions Audimat, dont la revue éponyme cultive la même sobriété.)

 

Qu’est-ce qu’un lieu ? Habitante ne répond pas définitivement mais se place dans ce registre de questionnement du monde, en observatoire, selon son éditorial.

 

C’est le numéro 0* (quoique vendu à 10 €) qui nous fut envoyé, 116 pages plus la couverture souple du même papier, un léger bouffant, avec pour seule coquetterie le titre manuscrit.

 

Cinq textes se succèdent, fictions ou enquêtes, cinq facettes d’un portrait du monde quelque peu angoissant.

 

Célia Houdart décrit un lieu à l’arrêt au tout début des confinements, lieu déjà emblématique des modernités touristiques, entre-deux des personnels dévolus aux voyages, où le factice veut évoquer la promesse de la destination – « Lanzarote » –, dont l’absurde apparaît une fois déserté de ses occupants (Personnel au sol).

 

Les quatre textes suivants sont des traductions.

 

Hamed Khosravi évoque l’histoire d’un lieu singulier, déjà présent dans la pop culture, la plateforme britannique de défense anti-aérienne de la Seconde Guerre mondiale, devenue principauté autonome de Sealand, et station de radio et de contre-culture (comparable au bateau décrit dans Good morning England  – « The Boat That Rocked » –, Richard Curtis, 2009, et dont il est question aussi, à l’occasion d’un abordage) mais également lieu d’autres entreprises, informatiques par le projet d’installation de serveurs internet, par la suite (des pirates qui n’auraient pas déparé dans Polygone n° 1).

 

Sidewalk Labs nous décrit un futur urbain proposé, depuis son infrastructure, par Google. Mais, comme le décrit Matthew Stewart, les moyens dont dispose ce géant le rendent proche et concret. Et éminemment capitaliste. Et inquiétant.

 

La fiction scientifique décrivant une maison de synthèse, vivante (donc inscrite dans un cycle de vie) semble lointaine.

 

L’expérience d’habitat que décrit Elvia Wilk dans ce chapitre du roman Oval, va bien sûr se gripper.

 

Ce sont deux projections, temporelles et spatiales. Alors que The Offsetted (Les Compensés) de Daniel Fernández Pascual & Alon Schwabe analysent les travers absolument capitalistiques du principe a priori vertueux de la compensation : ici planter un arbre pour permettre une construction là. Mais où le planter ? Que trouvait-on là la place? Cela a-t-il une valeur ? Oui : alors, la finance s’en mêle… ou plutôt agit selon sa nature, d’une certaine façon à la source de cette situation.

 

Les traducteurs de ces quatre derniers textes (de l’anglais) sont Hervé Loncan, Jean-François Caro, Fanny Quément.

 

Le monde tel qu’écrit ici (décrit, analysé, imaginé) existe déjà, vécu ou amorcé ou anticipé. Pourvu que ces Habitantes ne soient pas des Cassandre.

 

Yannick Kéravec

 

*et le n° 1 sort cette fin novembre 2021. n° 0, avril 2021