Le Cahier des livres ou se tenir au plus près des livres

 


Le Cahier des livres 
est une revue pratique ! Entendons qu’elle part des livres, de leur actualité, de ce qui se joue entre eux comme entre les univers des fictions ou des idées qui nous habitent et nous animent. Comme l’écrit sa rédactrice en chef : « nous cultivons des liens d’un livre à l’autre, sans hiérarchie de genres, en tirant des fils dans le labyrinthe des bibliothèques, pour donner à chacun et chacune l’envie de construire la sienne ».

 

On entend ici le principe qui anime cette nouvelle revue, un désir de partage, d’ouverture, mais aussi d’une certaine pédagogie, ou plutôt de bienveillance. On oscille en le lisant entre le portrait fouillé et la note de lecture ; on part un peu dans tous les sens, on se frotte à tous les genres. On y parle de littérature, d’art, de bande dessinée, de littérature jeunesse… C’est que ce qui occupe la petite équipe du Cahier des livres, inventer « des voies de traverse », revendiquant « le besoin de beauté, de poésie, de tout ce qui n’a pas de prix et qui fait le sel de la vie ».

 

Partant de ces constats et se nourrissant de ces désirs, la revue déploie, sur cinquante pages, une sorte de traversée littéraire qui s’appuie sur l’actualité des livres, et offre des rencontres conviviales avec des écrivains. Elle s’ouvre sur un ample entretien avec Lydie Salvayre, précédé d’une présentation synthétique de son œuvre bien troussée, et assume un rapport enthousiaste à la littérature contemporaine, à sa nécessité impérieuse. Salvayre y rappelle sa dimension radicale, émancipatrice et morale. S’appuyant sur la relecture de Don Quichotte, elle revendique de « faire le pari » du rêve, de l’utopie, de la transformation du réel par les choses de l’esprit. Elle explique longuement  que la littérature constitue la seule réponse possible pour lutter contre un pragmatisme stérilisant et utilitariste, affirmant sa croyance que les hommes ont « toujours le besoin de se dire quelque chose qui les dépasse ». Elle semble partager avec l’équipe de la revue, le besoin de repenser la réalité à l’aune des choses imaginaires et des langues qui les portent, qu’il faut « rêver en agissant », affronter la réalité, « rêver en s’immergeant en elle, en se cognant à elle, en se perdant en elle ».

 

La revue se compose en alternance entre des portraits, des rencontres, des dossiers thématiques – une visite à Brigitte Fontaine, un échange avec Alain Damasio, un focus sur Jeanne Duval et Baudelaire – et des sections de brèves d’actualités rassemblées, sous forme de bibliographies actuelles, qui recroisent les enjeux du numéros (tous thèmes, formes compris). C’est assez bien rythmé, fluide, parfois un peu impressionniste. On y croise Sebastian Barry et Antoine Compagnon, Valère Novarina et Kevin Lambert, une bande dessinée inspirée du J’accuse de Zola et Dédales de Charles Burns…

 

Le Cahier des livres opère comme une compilation et semble reprendre une sorte de tradition des miscellanées tout en proposant des gros plans sur des sujets ou des écrivains. La revue assume très clairement ces choix hétéroclites et on perçoit très nettement une générosité et une volonté de partage enthousiaste. On circule là-dedans comme dans une bibliothèque ou comme on furèterait dans une librairie. Et pourtant, dans ce premier numéro, il y a une cohérence qui point, une ligne directrice, cette sorte de certitude que la littérature influe sur la vie, sur ses aspects les plus concrets. Comme l’écrit Lydie Salvayre (phrase qui orne le dos de la couverture du numéro) : « Les mots sont dangereux, ils rendent les choses vraies. »

 

On semble se trouver à la frontière de plusieurs types de revues – entre le bulletin d’information, le cahier critique, le magazine d’actualité littéraire… C’est plaisant et un peu déstabilisant car on ne sait pas toujours comment la lire ou à qui la revue s’adresse… Mais ce qui est bien certain, c’est comment cette jeune revue s’emploie à se tenir au plus près des livres, comme dans leur pliure, avec une sorte de sentimentalité joyeuse, de douceur. Et derrière cette sorte d’indétermination, parfois de frustration que l’on éprouve en la feuilletant, il y a une énergie, une volonté à croire et faire croire que la littérature, sous toutes ses formes, permet de maintenir une radicalité face au monde, d’y agir véritablement.

 

Hugo Pradelle