Les Cahiers Jacques Rivière Alain-Fournier

Voici une revue qui propose, depuis 1975, des inédits, des études et des informations concernant d’une part Jacques Rivière (1886-1925), écrivain et directeur de La Nouvelle Revue française, d’autre part son beau-frère, Alain-Fournier (1886-1914). La sœur de ce dernier, Isabelle (1889-1971), fut en effet la femme de Jacques Rivière, entre 1909 et 1925.

 

Et la petite-fille d’Isabelle et Jacques Rivière, Agathe Rivière-Corre, qui est donc aussi la petite-nièce d’Alain-Fournier, a repris le flambeau dès 2009-2010, juste avant la disparition de ses parents : Alain Rivière, qui a beaucoup fait pour sortir de l’ombre la figure de son père, est décédé en 2010, et Marie-Anne Rivière, en 2014. Les bulletins bisannuels sont alors devenus des Cahiers annuels, destinés à environ 180 adhérents de l’Association, qui publie également une « newsletter » sur internet, qui compte 150 abonnés de par le monde.

 

Malgré l’énergie déployée, particulièrement visible dans la remarquable livraison n°2, consacrée à la Grande Guerre, on sent poindre le découragement dans l’avant-propos d’Agathe Rivière-Corre : elle déplore la lourdeur d’une telle double responsabilité et le petit nombre d’événements qui viennent animer la vie de l’AAJRAF, sans compter les membres peu actifs et âgés qui la composent et la soutiennent autant qu’ils le peuvent, mais dont le nombre diminue d’année en année : cependant, les actes du colloque de Bordeaux en 2018 ont été publiés dans la revue Europe, couplé avec un dossier consacré à Jean Prévost, ce qui est une grande satisfaction. Mais quel avenir, se demande-t-elle, pour de tels regroupements de lecteurs pointus et d’amateurs érudits d’un écrivain (et même de deux écrivains, dont l’un est et demeure très connu) ? Nul doute que la même question se pose à toutes les « associations d’amis », qui s’appuient sur la volonté d’une ou deux figures bénévoles et motivées, qui regardent avec anxiété derrière elles et ne voient personne se détacher pour prendre la relève… Une petite confédération d’associations regroupées par affinités (un groupe des « anciens de la nrf », par exemple) serait-elle une solution à cette débauche d’efforts ? Imprimer, distribuer, stocker est aussi assurément un problème : d’argent, de temps, de forces… Comme se réunir, rédiger les procès-verbaux, participer à des salons, agglomérer d’autres bonnes volontés, convaincre de jeunes chercheurs… Comment mutualiser toutes ces associations qui vivent de peu, ne font pas dans la facilité et cultivent même leurs différences, avec un sens de l’indépendance certain ? Faut-il tout basculer sur internet, quitte à frustrer certains adhérents, peu familiers de ces techniques ? C’est ce que préconise Agathe Rivière-Corre, qui y voit une manière de répartir les travaux et les responsabilités, et de mettre à jour plus facilement les activités de l’association, donnant ainsi plus de temps pour créer de véritables rencontres, bien construites et élargissant le cercle des lecteurs…

 

Alain-Fournier en 1905

Toujours est-il que la quatrième livraison des Cahiers de l’AAJRAF est, une nouvelle fois, tout à fait intéressante. Dès les premières pages, les vibrantes notes d’un « journal » de Jacques Rivière, rédigées entre 1910 et 1919, se révèlent pleines de ferveur. En témoigne cette description, en date du 8 juin 1910, qui pourrait avoir été écrite par l’auteur du Grand Meaulnes : « Je suis descendu dans la vallée de la Bièvre sur Jouy-en-Josas. J’allais très vite parce que la pente était forte. Et c’était comme si j’avais plongé dans du feuillage liquide. Partout des bois, de hauts arbres serrés autour de la route qui tournait sans cesse. Au fond de la vallée il y avait le village. L’air était humide bien que clair. Je sentais partout autour de moi l’épaisseur des arbres. » Mais on lit aussi des notes de juillet 1910 sur l’atmosphère insurrectionnelle de son quartier (il vivait alors rue Cassini, près de l’Observatoire et de la prison de la Santé) le jour de l’exécution de l’apache Liabeuf, condamné à la guillotine… et quantité d’autres choses vues, de sensations fragiles et tremblantes, de clarifications sur ce qu’il peut et doit écrire, sur ses sentiments amoureux qu’il analyse courageusement avec sa femme Isabelle qui n’en est pas l’objet. De la sincérité envers soi-même…

 

Jacques Rivière

Tout ceci éclairé par des études de David Roe (en particulier, sur le « Journal » de Jacques Rivière, mais aussi sur 11 lettres de 1917 à 1920 de Pierre Chavannes à Isabelle Rivière, évoquant essentiellement Alain-Fournier), de Claude Lesbats (sur les relations « décalées » entre Jacques Rivière et François Mauriac, au sujet du complexe sentiment religieux de Rivière) et de Bernard Baillaud (qui traite de la biographie inachevée d’Alain-Fournier par le libraire Jean Loize, à partir d’archives réunies dans un dossier dont il a fait l’acquisition). Jean-François Goussard, Jérôme Mazzariol, Guy Grenet, et Robert Tranchida, ancien archiviste de la bibliothèque patrimoniale de Bourges, où les archives de Jacques Rivière et d’Alain-Fournier ont été déposées par Alain Rivière en 2000, ont également participé à cette livraison, que clôt le compte-rendu de l’assemblée générale de l’Association. Le Prix Alain-Fournier a été donné en 2019 au beau livre de Bruno Pellegrino pour Là-bas, août est un mois d’automne (éditions Zoé, 2018), qui évoque la relation entre le poète et photographe suisse Gustave Roud et sa sœur Madeleine, avec qui il vivait, presque en autarcie. La délicatesse des images et la fermeté de l’écriture déployées dans ce livre ont assurément beaucoup à voir avec les œuvres d’Alain-Fournier et de Jacques Rivière…

 

Claire Paulhan