Mettray : Comme un écrin

 

Mettray n’est pas une revue, c’est un écrin de revue, de choses vues, peu vues, revues (bis repetita placent !), voire corrigées… Voyez plutôt le médaillon qui orne le cou de son dernier numéro, la photo d’un tag sur un mur de Paris, signée Didier Morin : c’est Jean-Pierre Léaud qui parle aux oreilles des voyants : « Le monde sera sauvé par les enfants, les soldats et les fous. »

 

Le reste est à l’avenant.

 

Il y a d’abord cinq petits bijoux de Plossu polis par la plume de Bernard Noël : « Cher Fotographo ». Les mots du poète sont à hauteur des images, ils les enveloppent d’une douceur équanime. Juste et tendre correspondance : « toujours grand plaisir à recevoir ta réalité, qui m’ouvre des pans du monde pour m’en donner la beauté. J’aime particulièrement ton Agadès, avec cet homme prêt à l’envol et comme soulevé par son attente. » Deux Bernard valent bien mieux qu’un seul… art !

 

Il y a ensuite, tout près, deux pages manuscrites, et inédites, de Jean Genet, sur papier à en-tête des Hôtels Brébant et Beauséjour (Paris IX) : on reconnaît la beauté baroque de son style, phrases précises et précieuses, telles les pierres du même nom, ou « comme on pourrait le dire des rochers de Delphes, les Pyramides, ou plutôt l’une d’elles, d’abord, la plus pure ce matin. »

 

Plus tard, une rivière de cinéma : Godard et son Livre d’image, le visage d’Artaud en confesseur de Jeanne d’Arc (la lunaire Renée Falconetti), Benjamin Fondane et son film fantôme, Tararira : « Si j’étais libre, vraiment libre, je tournerais un film absurde, sur une chose absurde, pour satisfaire à mon goût absurde de liberté. »

 

Plus ailleurs, cette perle, une jolie bévue de René de Ceccaty racontée par lui-même, étourderie qui lui fit naguère prendre une encre de Pasolini, « Susanna endormie », pour un trait de presque génie, alors que le dessin n’était qu’une « copie pure et simple » d’un célèbre lavis de Rembrandt !

 

Un solitaire, encore, entendez le nom, mais aussi l’adjectif, celui que l’on accole au mot plaisir et qu’Eric Rondepierre, l’auteur de Placement, explore jusque dans les tréfonds des colonies pénitentiaires, des dortoirs, des maisons de préservation (pour les filles) ou de correction (pour les garçons) : « réflexe de survie, plaisir gratuit, invisible et secret, qui convoque l’imaginaire en s’unissant au mirage. »

 

Et puis surtout, il y a le dossier Pierre Lucerné, de son vrai nom Pierre-Alain Magnard, artiste approximativement brut, mi-chiffonnier mi-couturier, ramasseur de papiers bonbons qu’il épingle comme d’autres des papillons, colligeur de « bribes, de brins, de riens, de brimborions » (Patrick de Haas), « peintre de seuil et de rue » (Onuma Nemon). Lucerné est difficile à cerner, et ce dossier sert à ça. Fermer les yeux. Ouvrir l’esprit. Comme on soulève le couvercle d’un écrin…

 

 

 

Roger-Yves Roche

 

Coordonnées de la revue