Panthère Première ou « battre des ailes »

 

Soyons honnêtes, on ne va pas toujours au plus essentiel ! Quoique… Bref… Quand on lit un journal, l’œil vagabonde souvent sur l’horoscope… On se moque, on ricane, on s’en fiche un peu… Mais on l’a lu… Panthère première en publie un à la fin de chaque numéro. Comme je suis vierge, et pas totalement dénué de logique, je lis celui qui me concerne au premier chef…

 

Vierge :

Sous un avant-toit coincé entre les tuiles,

Quelques oisillons piaillent

Débattent de la stratégie

A adopter lors du premier envol

Battre des ailes ou se laisser tomber ?

 

Stratégiquement, on entre dans une revue dans cet état-là, ou à peu près. Souvent, il faut se débrouiller d’un objet tout à fait singulier, se refaire à sa ponctualité, décider si on choit en attendant qu’il se passe quelque chose ou si on se lance avec énergie dans une lecture.

 

Chaque numéro de Panthère première engage un regard, constitue un point de vue. C’est une revue qui fait un angle ; on regarde vers le plus aigu ou le plus large en fonction de la focale que l’on choisit.

 

 

On y est tout autant dans le présent que dans le passé, tourné vers soi que vers le collectif… C’est un équilibre qui se rejoue à chaque numéro. Certes, on objectera que cet équilibre est engagé, parfois énervé, parfois partial… Mais revigorant, énergétique, troublant, extraordinairement vif… Car assurément, la bande de Panthère première s’agite, milite, intervient dans le réel, saisissante.

 

Bref, on va à rebours dans cette livraison, comme on le lit dans l’édito : « Panthère Première a prudemment écarté les tentures du passé et s’est enfoncée dans le labyrinthe de la mémoire collective. » Ainsi, au gré et au hasard des «voies d’archives qui ne se laissent pas voir facilement».  Indice d’une démarche de traverse, décalée de l’histoire officielle et classique, comme affranchie d’une hiérarchie ou d’une fixation univoque, l’équipe s’emploie à une collecte sauvage. Ce numéro est une affaire de recompositions, de rencontres, de sauvetages.

 

On y débusque de tout dans ce dossier imprimé sur papier jaune intitulé « Nos meilleurs souvenirs ». Compulsation d’archives de « la vie ordinaire », il retrace des expériences fugaces qu’il faut conserver, recueillir. Plus avant, c’est de la mémoire collective elle-même qu’il s’agit, de la manière dont elle se compose et s’admet ou se partage. Y a-t-il des lieux de mémoire véritables ou efficaces ou légitimes. C’est de la probabilité du pas que se nourrit ce numéro. Panthère Première va tous azimuts : le ton est politique, engagé, facétieux. Que fait-on des archives, qui décide de ce que l’on conserve ? A qui appartiennent-elles donc ? Si la nécessaire préservation de traces parait évidente et naturelle, la manière, le processus qui y préside, le sont beaucoup moins. Opacité qu’il faut réfléchir – en partant par exemple des archives d’Artaud (vu les débats plus qu’énergiques c’est prometteur n’est-ce pas ?) –, les intégrant à des politiques culturelles ouvertes et partagées. On est en est bien loin visiblement. Comment l’administration décide de jeter ou de conserver des pièces et des documents ? Mais il ne faudrait pas se limiter à la dimension publique et institutionnelle de l’archive… Il faut s’attacher aussi à celle, éphémère, fragile, ponctuelle qui émaille nos vies, nos espaces, nos mémoires… On ira voir du côté d’un inventaire à la page 55… Panthère Première braconne sur tous les terrains, gratte là où ça démange… Un long article de Norah Benarrosh-Orsonni revient sur la création d’un lieu archivistique à Paris consacré à l’histoire des mouvements gays et lesbiens, sur leur inscription toujours reportée dans le champ de la socialité…

 

 

On le voit, comme toujours cette revue offre un débat, ouvre des chantiers nécessaires. Qu’on soit d’accord ou pas importe peu, ce qui compte, c’est le mouvement qui préside à une revue au format excentrique et décalé, sa dimension touche à tout, iconoclaste et un peu furieux… On passe de l’histoire à la sociologie, du documentaire au simili pamphlet… On étudie, on est sur le pont, tout simplement. Voici bien une revue qui déborde d’énergie, virulente. Quelques sujets en vrac abordés dans ce numéro… Un dossier passionnant sur le projet de deux femmes à New York dans les années 50 (Barbara Holdridge et Marianne Mantell) de produire et de commercialiser de la littérature enregistrée. Et c’est de haut vol : Dylan Thomas, Virginia Wolf ou Gerard Manley Hopkins… Un autre article est lui consacré au football féminin et un autre sur le sucre…

 

Bref, il y en a pour tout le monde dans cette livraison, toujours d’aussi bonne tenue, toujours aussi bien illustrée (on appréciera particulièrement les dessins qui déclinent la couverture tout au long du numéro), aussi originale dans ses contenus et sa forme. Il s’y déploie toujours une énergie revigorante et stimulante, une espèce de furie de la connaissance, ou plutôt une manière d’aborder les choses pour les comprendre, s’en saisir, se les approprier et les remettre en débat…

 

Décidément, il faut battre des ailes !

 

Hugo Pradelle