Quartette #12

 

Allen – En 1979, « Toujours les prisons », un dossier mémorable de la revue Esprit coordonné par François Colcombet revenait sur la condition carcérale, cinq ans après la révolte des prisons françaises et deux ans avant l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand. Celle-ci fut préparée par le travail de terrain d’acteurs aussi discrets que résolus.

Conseiller à la Cour de cassation, cofondateur puis président du Syndicat de la magistrature, François Colcombet (1937-2023) fut de ceux-là. Du temps où Robert Badinter était garde des sceaux, il devint président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, puis directeur de l’éducation surveillée. Il commence alors une carrière politique, devenant maire de Dompierre-sur-Besbre, conseiller général et député de l’Allier.

Cet « élu de terrain » et président de la Convention pour la sixième République appartint longtemps au comité de rédaction de la revue Esprit à qui il confia une vingtaine d’articles. Intellectuel et élu d’un territoire rural, à l’aise à la ville comme à la campagne, il écrivit quelques ouvrages et fut sollicité avec bonheur par Patrice Rötig, le directeur des éditions Bleu autour à qui il consacra sa dernière contribution à la revue.

 

Le député savant et lettré postfaça par exemple les rééditions de la Visite aux paysans du centre de Daniel Halévy, du Braconnier de Dieu de René Fallet ou encore de l’indépassable Allen de Valery Larbaud, le plus beau livre écrit sur ce discret coin de France, le Bourbonnais, où désormais François Colcombet repose en paix. Tous ceux qui eurent la chance de le croiser gardent en mémoire sa haute silhouette, « son allure d’adolescent vieilli, son cheveu rebelle, son regard candide et son indéfectible courtoisie.”

Sa notice dans Le Monde

 

Laudes à Laude – Bien connu comme historien de l’art et africaniste, auteur d’un classique sur  les arts d’Afrique, Jean Laude (1922-1984) reste méconnu pour son œuvre poétique pourtant saluée par Édouard Glissant ou Jacques Dupin. Le premier, Michel Collot lui avait consacré une étude approfondie dans son livre magistral sur L’Horizon fabuleux (Corti, 1988). La revue L’étrangère publie un important dossier dans son dernier numéro, rassemblant neuf contributions sur cet auteur passé par le surréalisme et par des revues comme Change ou encore Tel quel.

 

Ce numéro double contient aussi des poèmes, des inédits, des extraits de son journal, des écrits sur l’art (dont un puissant texte sur Byzantios) et la littérature ; il se clôt par un entretien avec Jean-Marie Le Sidaner.

Esther Tellermann analyse, en psychanalyste et en poète, Les Plages de Thulé, un de ses livres majeurs republié en 2012 par les soins de Michel Collot et Pierre-Yves Soucy aux éditions La Lettre volée. Esther Tellermann interroge l’écriture du littoral, ce lieu de « proximité et déchirure entre l’homme et le monde, entre soi et soi, la vie et la mort. »

 

Marie, Gary & les oiseaux – 

 

Elle est discrète, l’amie Marie-Christine Masset. Elle se dit elle-même « un peu sauvage ». Elle publie peu ; la plupart de son temps, elle le met au service des autres. Dans la revue Phœnix, elle joue un rôle important – dans le comité de rédaction, la fabrique des numéros, le suivi, le choix, la vie courante.

De temps en temps, elle publie le fruit de ses travaux de traduction et c’est, à chaque fois, un petit événement. Celle du grand auteur aborigène Kevin Gilbert, Le Versant noir (Castor astral, 2017) fut un vrai succès. Ce printemps, elle fait paraître Poème pour les oiseaux du merveilleux Gary Snyder, contribuant ainsi la reconnaissance de cet auteur majeur de la Beat generation.

Marie sera certainement sur un stand au Marché de la poésie, aux Voix vives de Sète ou au Salon de la revue. Peut-être. À moins qu’elle ne préfère rester dans sa nature et dans son monde, fidèle à sa discrétion et à l’inspiration de Gary Snyder :

 

« Le nuage murmure

Les montagnes sont notre esprit.

Là les bois frémissent »

 

 

ChatGepetto – Le nom de ChatGpt en français interloque. Il faut le dire en anglais pour ne pas être malséant. Cela fait rire les Américains me dit l’excellente amie qui m’a fait découvrir ce phénoménal et inquiétant outil. On pourrait malicieusement le nommer FartingCat, bien sûr, mais Gepetto convient mieux – du nom de l’affable menuisier toscan qui fit d’un pantin de bois un enfant turbulent. Apparu il y a quelques mois, l’usage d’Open IA se répand à la vitesse d’un incendie de forêt en pleine canicule.

« Même pour les amateurs de science-fiction, ChatGPT apparaît peut-être comme une étonnante concrétisation » écrit Pierre-Antoine Marti dans AOC. S’inspirant du Bluff technologique, le livre génial de Jacques Ellul (Hachette 1987), Adrien Tallent alerte dans Esprit contre « le risque d’accentuer la dilution de la vérité au profit d’un régime de “post-vérité” ».

 

Dans le même temps, Alexandre Gefen poursuit son projet d’Histoire culturelle de l’intelligence artificielle

 

publie les actes d’un colloque consacré aux Créativités artificielles. La littérature et l’art à l’heure de l’intelligence artificielle (Presses du réel, 2023)

et aujourd’hui même, publie ceci : Vivre avec ChatGPT, aux éditions de l’Observatoire.

 

Et les revues dans tout cela ?

 

Cédant au dernier tube à la mode, j’ai demandé à ChatGepetto d’écrire un petit article sur l’impact d’OpenIA sur les revues. En à peine plus d’une minute, il rend une copie de 3 400 signes, bien structurée, au contenu lénifiant mais non sans intérêt. Il est à noter que la machine emploie déjà le passé – l’IA considère donc que les revues sont d’ores et déjà bouleversées. Voilà un beau sujet d’empoignades en comités de rédaction – et de débats enflammés au Salon de la revue ! Si l’on en croit Open IA, ChatGepetto permettrait aux revues 1- Une « assistance conversationnelle améliorée » 2- une « Facilitation du processus de recherche » 3- Une « amélioration de la collaboration et de la révision ». Avant de conclure, bon élève, il évoque les « Défis et préoccupations », rappelant la nécessité de garder un esprit critique et de vérifier ses sources.

Voilà, voilà.

 

François Bordes

 

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