Quartette #20

Camp d’internement de Rivesaltes © CC BY-SA 2.0/Krishna Naudin/Wikipemedia Commons

 

« Faire mémoire, c’est faire lien » –

 

En 1997, une pétition signée par Simone Veil, Claude Simon, Edgar Morin et de nombreux citoyens plaidait pour que soit sauvegardée « la mémoire vivante du camp de Rivesaltes ». L’année suivante, dès son élection à la présidence du conseil général des Pyrénées-Orientales, Christian Bourquin, jeta les bases de ce qui devait aboutir à l’ouverture du Mémorial de Rivesaltes le 16 octobre 2015.

 

En dix années, ce Mémorial des « Indésirables » a accueilli 400.000 visiteurs et mené un patient travail de tissage des mémoires : Républicains espagnols, Juifs étrangers et « indésirables », Tziganes et Résistants, Harkis, immigrants clandestins… Le lieu témoigne de l’histoire du XXe siècle dans sa complexité et sa violence. En dix ans, indique la directrice du Mémorial, Céline Sala-Pons, « nous avons vu émerger une reconnaissance collective et aujourd’hui le camp de Rivesaltes n’est plus un sujet enfoui mais bien une mémoire partagée et assumée » [1].

 

Doté d’un conseil scientifique présidé par Laurent Joly, le mémorial de Rivesaltes publie une petite revue qui témoigne de son action envers les jeunes publics pour « assurer la transmission mémorielle, pour comprendre, prévenir et éduquer », leur donner des « clés pour penser le monde, pour se positionner, pour s’engager ». Mémozine offre des ressources pour cette mission éducative. Une rubrique porte en particulier l’attention sur les objets du camp, témoins, objets de mémoire comme une couverture de réfugiés espagnols, une tasse, un plan de l’îlot F du « centre d’hébergement » dessiné sur un murs de baraque en 1941, une lettre d’adieu écrite le 3 septembre 1942 au camp de Rivesaltes par Lusia Gurwicz Drommelschlager à son fils de 2 ans, avant d’être son transfert vers le camp de Drancy puis celui d’Auschwitz.

 

Ce magazine est un modèle de transmission pédagogique, de conscience du rôle de la mémoire, de respect de l’histoire. Si elle s’adresse aux écoliers, collégiens et lycéens – elle parle à tout le monde, à l’image de ce Mémorial « espace public de mémoire et de transmission ».

 

Brasero au Salon de la revue 2025 © Ent’revues/Lou-Andrea Gachot Coniglio/STUDIO MICHEL

 

Rallumer le Brasero –

 

L’automne arrive. Dans les supermarchés, les citrouilles cèdent la place aux sapins de Noël et les toiles d’araignée aux guirlandes. Contre le gris gagnant, un petit bloc de couleur s’annonce le 21 novembre en librairie : le cinquième numéro de Brasero !

 

Les visiteurs – nombreux ! – du 35e Salon de la revue ont découvert en avant-première son éclatante couverture jaune et son sommaire toujours aussi étonnant, savamment joyeux et joyeusement savant. L’on y retrouve les habituelles rubriques, les signatures attendues, les nouvelles-venues ; on y croise un faux fakir, Spiridonova, Huxley, Orwell, Acéphale, Jules Lequier, Jan Bucquoy, Louis Jou, Michel Corringe, Jacques Le Glou, Guy Debord et Pierre Drachline ; on y parle de fausses nouvelles, censures et dénonciations durant la Grande Guerre, de socialisme autoritaire et d’utopie socialiste, de la Saint Lundi et de la révolte d’Eureka, de singes domestiques et de collier de perles, d’écologie et de dragon situationniste, de Horde du Montparnasse et de Kamishibaï. Un article rend magnifiquement hommage aux « hommes-livres », les bouquinistes, cette tribu marginale vivant au rebours du temps.

 

Quant à la tribu des lecteurs et lectrices de Brasero, elle a rendez-vous à la librairie Quilombo le 22 novembre à 19h.

 

 

Fu Giacomo Matteotti –

 

Giacomo Matteotti © CC BY0/Domaine public/Wikipedia

Le 15 octobre 2025, le Journal Le Monde annonçait : « Mark Bray, historien américain menacé de mort pour ses travaux sur l’antifascisme, s’exile en Europe. [2] » Professeur à l’université Rutgers dans le New Jersey, ce spécialiste de l’histoire de l’antifascisme, auteur en 2018 d’un ouvrage  « remarqué et traduit dans plusieurs langues » – L’Antifascisme. Son passé, son présent et son avenir était ciblé par les milieux d’extrême droite. Le chercheur et sa famille ont trouvé refuge dans l’Espagne de Pedro Sánchez [3]. On se souviendra peut-être qu’au XXe siècle, l’antifascisme constitua le creuset de la résistance aux tyrannies modernes et fut le laboratoire de l’antitotalitarisme.

 

En juin 1924, au lendemain de l’assassinat du député socialiste Giacomo Matteotti était créé à Paris le premier Comité italien d’action et de propagande antifasciste. Il rassemblait anarchistes, socialistes, républicains, libéraux, syndicalistes, francs-maçons et garibaldiens.

 

Immédiatement, le comité se dota de deux périodiques éphémères : Matteotti, qui ne connut qu’un numéro et Campane a stormo, dont deux numéros parurent les 23 septembre et 25 octobre 1924. Chercheuse de l’université Paul-Valéry de Montpellier Isabelle Felici, présente et analyse ces deux premières revues antifascistes dans la nouvelle livraison de la revue d’études italiennes Transalpina.

 

 

Poésie noir/blanc –

 

Son irruption dans le monde des revues de poésie n’était pas passé inaperçue. Papier peint mauvais drap la revue animée par le poète et chercheur Stéphane Cunescu revient avec un numéro double et passe au dos carré-collé (à découvrir lors d’une rencontre à la Librairie Wallonie-Bruxelles le 21 novembre à 19h). La forme est toujours d’un soin parfait, sans sophistication, laissant toute la place au déploiement des mots et des images, des graphes et des alphabets. Textes de recherche, poèmes et proses. Avec maître Kong, Jean-Claude Lebensztejn interroge par exemple « le tourment de la reconnaissance ». Au centre, sur une feuille intercalée, quatre photographies de William Cliff prises à Gembloux par Ivan Alechine.

 

Et puis cette bonne nouvelle proclamée dans les dernières pages : « Papier peint Mauvais drap devient bientôt une maison d’édition ». Souhaitons-lui bonne route et bonne étoile !

 

François Bordes

 

Photo de Une : Camp d’internement de Rivesaltes (détail) © CC BY-SA 2.0/Krishna Naudin/Wikipemedia Commons

 

 

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