Quartette #9

 

 

Purple birthday book

 

Ses numéros sont devenus d’un rouge flamboyant, mais pour fêter ses quatre-vingt dix ans, Esprit publie un beau petit livre mauve retraçant l’impressionnante histoire de cette revue centrale dans le débat intellectuel français. Ce volume reprend et actualise une brochure réalisée en 2002, on lira avec un intérêt tout particulier les pages sur les vingt bouleversantes années que nous venons de traverser. Entrée dans l’ère numérique, résurgence d’un terrorisme de masse, mutations de l’ordre international. Une nouvelle équipe a pris la relève, Olivier Mongin passe le témoin, Anne-Lorraine Bujon devenant directrice de la rédaction et Anne Dujin rédactrice en chef. La postface évoque les nombreux défis du temps présent : les nouvelles menaces sur la démocratie, le surgissement de la pandémie, le dérèglement climatique, la guerre, les nouvelles radicalités et la « dévitalisation des institutions politiques ». Depuis sa création, Esprit a été au rendez-vous des débats de son temps, traçant toujours sa voie propre. Cet anniversaire est l’occasion de « remobiliser l’héritage » et de continuer à tenter de penser le monde dans l’espace réinventé d’une revue de l’âge numérique.

 

Parmi les nouveautés, outre un site et une chaîne vidéo, la rédaction a lancé plusieurs séries de podcasts à découvrir ici. « L’esprit du temps » relaie les rencontres organisées par la revue et « Au grand jour » salue l’actualité culturelle. « À plusieurs voix » propose un dialogue entre un article marquant de l’histoire d’Esprit et un auteur ou une autrice d’aujourd’hui, une de ces concordances des temps dont la revue Esprit a le secret.

 

 

Orwell’s Christmas pudding

 

Orwell et la cuisine, existe-t-il sujet plus tarte ? La nourriture occupe pourtant une place particulièrement intéressante dans les romans de l’écrivain socialiste anglais. Dans la filiation de William James, Orwell critiquait « l’âge de l’ersatz » de l’industrie agro-industrielle. Un peu d’air frais commence par une scène où le héros croque dans une saucisse au goût de poisson, dans Mil neuf cent quatre-vingt quatre, le monde de Big brother sent le chou ranci et Winston Smith s’assomme à coup de gin de synthèse. Dans un numéro de Femme actuelle jeux, Pauline Prévôt avait publié un très intéressant article sur les goûts personnels d’Orwell en matière culinaire. À l’approche d’un Noël qui devrait être sobre, La Revue des deux mondes a eu la bonne idée de traduire le petit article qu’Orwell avait consacré à la cuisine anglaise. Rien de bien croustillant dans cette présentation et on comprend que ce texte resté inédit de son vivant n’ait pas particulièrement retenu l’intérêt des éditeurs d’Orwell, encore moins des traducteurs français. Si l’idée est amusante, on conviendra aisément de ceci : The proof of Orwell’s genius is obviously not in the pudding ! Le goût culinaire d’Orwell était plutôt sobre, frugal et rustique. Il aimait la bière, le thé et le pudding qu’il présente comme « la plus grande gloire de la cuisine britannique ». On trouvera d’ailleurs à la fin de ce texte la recette du Christmas pudding à la Orwell.

 

 

 

Green lantern

 

Revoilà Brasero ! Cette année 2022 s’était ouverte avec le premier numéro rouge incandescent. Elle se clôt sur sa deuxième livraison à la couverture d’un vert éclatant, un vert de forêt et de prairies. Il est vrai que cette revue est un véritable Eden ! Cette utopie de papier est richement illustrée par des images d’archives et les dessins de Jean Aubertin. On aurait envie de citer ici toutes les contributions. Comment ne pas être impressionné en effet par l’intérêt, la variété, l’originalité et la qualité des articles de cette publication annuelle ? L’histoire sociale y occupe une large place, avec en particulier l’étude d’Anne Steiner sur l’enfance insoumise, fugueuse et vagabonde sous la IIIe République ou l’enquête très fouillée de Frédéric Thomas sur le « Mai 68 belge ». Les éclairages d’Anne Steiner permettent de (re)découvrir la figure de Madeleine Pelletier (1874-1939), femme du peuple devenue médecin, féministe et révolutionnaire. Charles Jacquier propose une relecture très pertinente du « moment antitotalitaire » français en revenant sur le livre de Nina et Jean Kehayan, Rue du prolétaire rouge, dont on a minimisé la profondeur de l’impact. Charles Jacquier donne aussi une très juste relecture de l’ouvrage de Cornelius Castoriadis, Devant la guerre. À la lumière de la guerre de Poutine contre l’Ukraine, les analyses développées dans ce livre mal compris à sa parution mérite en effet d’être revisitées. Paru en 1981, il a récemment été republié, augmenté d’archives inédites (Guerre et théorie de la guerre, tome VI des Écrits politiques publiés par les Éditions du Sandre, 2016). La notion de stratocratie et de domination du secteur militaro-industriel en Russie apparaît tout à fait opératoire, tout comme le chapitre intitulé « la force brute pour la force brute ».

 

 

Parmi toutes les flammêches de ce brasero, citons aussi les articles drôlatiques sur les chasseurs de rats du vieux Paris, sur le bizarre Guido Keller, les communistes télépathes, l’entarteur et les écraseurs, les diggers et les bandidos… Et puis, bien sûr, Brasero est un ardent foyer de l’histoire du livre et de l’édition. Chantal Aubry retrace les aventures d’Eric Losfeld, Robert Dreyfus évoque « Péguy typographe » et Zvonimir Novak présente le graphisme des publication militantes trotsksites des années 1930. Enfin, Jacques Baujard et Alice Guillemard retracent la vie et la carrière de Christine Sèvres, chanteuse « à la voix de verre brisé », espoir des années 1960 qui restera cependant dans l’ombre de son mari, Jean Ferrat. Cet article est à l’image de Brasero : il donne envie de lire et de vivre, d’écouter et de regarder le monde avec un regard neuf, critique et joyeux.

 

 

Alba the Snowflake –

 

L’autre jour, dans la librairie, il était posé comme un flocon de neige en papier blanc sur les couvertures bariolés. Au début, j’ai cru qu’il s’agissait de conseils de libraires. Non. Ce flocon est une toute petite revue, pliée comme un origami, avec imprimés minuscules de courts textes poétiques, et des dessins. À peine deux minutes de lecture, mais un immédiat voyage imaginaire, par l’objet, par les mots, par la vision des revuistes semant sur leur chemin ces petits flocons poétiques.

 

 

Le petit signe de papier blanc a son reflet sur internet où il proclame son joyeux manifeste : « ALBA sera involontaire, passionné, critique et humble. »

 

Une belle histoire d’aube pour annoncer l’an neuf.

 

 

François Bordes 

 

 

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