R de revues : S comme Silence de Sphinx & de Sirènes

 

Avez-vous connu R de Réel, merveilleuse revue proposée par Raphaël Meltz et Lætitia Bianchi, avant Le Tigre ?
Elle proposait un programme alphabétique qu’elle a tenu au gré de 24 numéros.
Vingt ans plus tard, l’ami François Bordes se propose un tel programme appliqué aux revues dont il extraira, dans les semaines, les mois qui viennent un thème, un mot, une notion… pour contrer les confinements intellectuels.

 

Dix-neuvième  livraison, avec la lettre S : Sphynx & Sirènes.

 

 

En août 1926, quelques mois avant la création de la Société psychanalytique de Paris, se tint la première CPLF, Conférence des psychanalystes de langue française (transformée ensuite en Congrès). En 1927 fut fondée la Revue française de psychanalyse qui publia les premiers textes scientifiques issus de cette première CPLF. Depuis, chaque année, la revue publie les rapports de ces congrès qui proposent de « penser la psychanalyse » et de constituer un « creuset d’émergences [1] ». La revue de la SPP constitue ainsi un « fil d’Ariane » pour l’histoire de ces Congrès réunissant nombre de psychanalystes de langue française. Le quatre-vingtième CPLF devait se tenir à Jérusalem en 2020. En raison de la pandémie, il a été reporté et aura lieu en visioconférence du 13 au 15 mai 2021.

 

Pour surmonter la déception du report et le transformer en « une chance à saisir », la Revue française de psychanalyse a eu l’idée de proposer à certains de ses contributeurs de choisir un extrait d’une conférence passée et de la commenter. Le numéro ainsi bâti offre une anthologie « revisitée » où les analystes d’aujourd’hui donnent à lire, actualisent et commentent leurs prédécesseurs. Vassilis Kapsembelis revient sur la conférence inaugurale de René Laforgue, Sabina Lambertucci-Mann présente les contributions clefs de Marie Bonaparte et Sophie Morgenstern, Catherine Chabert s’intéresse à Didier Anzieu, Patrick Mérot à Christian David, Julia Kristeva à Ilse et Robert Barande… Cette livraison de la revue au Sphinx propose une foisonnante chambre d’échos. L’anthologie et ses commentaires rappelle à qui l’oublierait toute la finesse et la complexité de la psychanalyse, pratique et savoir en perpétuelle recherche. Plongée dans les concepts, ce numéro constitue aussi une traversée de l’histoire de la psychanalyse. Le volume s’ouvre d’ailleurs sur la liste complète des rapports du CPLF de 1926 à 2020, sur un article de Bernard Chervet présentant la trajectoire de cette institution et un entretien avec l’ancien directeur du CPLF, Georges Pragier. « Fil d’Ariane », la revue constitue bien le lieu où sont conservées les traces de cette activité intellectuelle, institutionnelle et para-institutionnelle si importante.

 

Dans Textes sans sépulture, Laurent Danon-Boileau nous invite à une plongée d’un autre type « dans les revues médicales des siècles passés [2] ». Frappé par la beauté de certaines paroles de malades rapportées par Sege Lebovici et Joyce MacDougall, il passa des jours à la bibliothèque de l’hôpital Sainte-Anne. Il rechercha dans les index, dépouilla les Annales médico-psychiatriques (1910-1930), le Bulletin de la Société clinique de médecine mentale (1899-1920), la revue L’Encéphale (1910) ainsi que quelques ouvrages. Il photocopia, amassa et ordonna une masse de textes, « expression d’un combat contre les monstres de l’inconscient et du corps malade ». Alain Veinstein proposa de réaliser une émission pour France Culture, ce qui permit à cette anthologie de prendre forme. L’ouvrage parut chez InterÉditions en 1980 et il vient de reparaître aux éditions Fario dans une nouvelle collection intitulée « le silence des sirènes ». Celle-ci accueille des ouvrages de psychanalyse, de sciences humaines diverses et d’écrits littéraires proposant de méditer sur le silence des questions posées par certains livres. « Les sirènes possèdent une arme plus redoutable encore que leur chant, et c’est leur silence » cette phrase de Kafka sert d’exergue à cette collection où l’on retrouve bien des questions – et bien des silences – de la regrettée revue Fario.

 

La lecture parallèle de ces deux anthologies offre une large vue sur la profondeur et l’immensité des questions et des silences soulevés par le travail des soignants et des patients, des analysants et des analysés. L’approche fine et riche de nuances du petit volume de Laurent Danon-Boileau permet d’entendre ce qu’Alda Merini nommait « L’autre vérité [3] », celle à laquelle il faut tendre l’oreille pour ne pas faire naufrage.

 

 

François Bordes

 

 

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[1]. Bernard Chervet, « Le cabinet des émergences », Revue française de psychanalyse, « CPLF 1926-1982. Lectures actuelles », décembre 2020, tome LXXXIV, n° 5, p.1101.

[2]. Textes sans sépulture. Écrits recueillis par Laurent Danon-Boileau à la bibliothèque de Sainte-Anne, Fario, « Le silence des sirènes », 2020. Dans le numéro de la RFP sur les CPLF, Laurent Danon-Boileau s’est intéressé à Serge Lebovici et René Diatkine.

[3]. Alda Merini, L’Autre vérité. Journal d’une étrangère, Éditions de la revue Conférence, 2010.