Strate(s) : l’autre aventure de l’espace

 

 

Tête en l’air, air du temps : lorsque votre voisine de bureau revient du théâtre de la Reine Blanche, à Paris, où officie Ulysse Baratin (qui collabore avec Ent’revues, notamment au festival VoVf…), un lieu où l’on travaille sur les rapports arts/sciences ; et puis récemment nous recevions la moitié du fourbi (soirée bientôt en ligne sur Canal-U, chaîne Fondation maison des sciences de l’homme) pour son numéro « Miroirs ».

 

Voici deux nouvelles revues, que l’on peut considérer en miroir.

 

La première vient compléter Espace(s), revue où le CNES, centre national d’études spatiales, accueille des écrivains pour créer de l’imaginaire. Le propos est vaste et ne s’arrête pas à la classique science-fiction, ou bien vient déranger celle-ci.

 

Il s’agit de Strate(s) qui se propose de mettre à disposition, dans un format classique de revue papier, des documents produits par la recherche spatiale.

 

Alors, des cosmonautes dans leurs combinaisons ? Des photographies interstellaires, des trous noirs ?

 

Non pas ! Le propos dépasse l’aspect strictement scientifique, se veut plus modeste dans les représentations : ce sont les oubliés, les travailleurs de l’ombre, des préparatifs, des calculs préliminaires, des expériences peu cinématographiques, mais ô combien indispensables qui nous sont livrées !

 

Ainsi, la revue s’ouvre sur… la photographie en noir et blanc d’un jeune homme, fluet, torse nu, loin des héros harnachés de scaphandres. Il s’agit de Jean-Jacques Barré ; il a alors 22 ans mais deviendra ingénieur militaire, actif pendant la Seconde Guerre mondiale, travaillant sur les fusées V2 après la Libération et responsable du programme Eole, expérimentations qui, toutes, échoueront et seront abandonnées en 1952, en restant une source d’enseignement pour les projets suivants. Le projet Europa ou les expéditions en Terre Adélie fournissent le matériau de deux ensembles où le collectif humain (alors exclusivement masculin) est au service de beaux projets.

 

Le troisième chapitre ne traite pas d’anonymes, mais de sans-voix : les animaux de la conquête spatiale. Bien sûr, on y trouve Laïka, la chienne pionnière russe, Vostok et d’autres congénères ; mais aussi le chimpanzé Ham et le singe écureuil Miss Baker de la NASA ; le rat Hector qui s’envolera depuis l’Algérie en 1961 ; on croise des chats non crédités et Félicette (au portrait cinégénique), la guenon Martine enfin décollant tous de la même base. Portraits et photographies scientifiques, en situation, contraints et harnachés ou entourés de soigneurs, de militaires, mais aussi croquis et schémas techniques complètent cet ensemble fort émouvant, qui nous rappellent ce que nous devons à ces précieux auxiliaires.

 

128 photos traversent une bonne part du XXe siècle, de 1923 à 1973, du noir et blanc à la couleur. La toute première photo nous rappelle l’humilité mais aussi suscite la réflexion, l’étonnement, l’admiration : comment, rejoints par des bataillons de chercheurs, de techniciens, se trompant parfois, se faisant aider d‘animaux, de fragiles êtres humains en viennent à visiter l’espace.

 

Ces documents profondément émouvants dans leur ensemble, incarnés, très humains sont éclairés de commentaires d’historiens des sciences ((Jérome Lamy, CNRS, h. et sociologue ; Sébastian Vincent Grevsmühl, CNRS, h. des sciences et de l’environnement), d’une sémioticienne, Maria Giulia Dondero (Fonds national de la Recherche Scientifique) et d’un professeur à la haute école d’art et de design HEAD-Genève, Christophe Kihm. Leurs analyses, globales ou reprenant cliché par cliché, nous donnent des clés de compréhension, d’analyse de ces documents, mais sans atténuer ce qu’ils portent d’imaginaire, de concret et de rêve.

 

La seconde revue ? Voici.

 

Yannick Kéravec