Paul Louis Rossi, passé en revue

Journaux / Paul Louis Rossi © Christian Rosset

 

En février 2025, le poète, peintre et critique d’art, Paul Louis Rossi disparaissait. Ent’revues a demandé à Christian Rosset qui le connaissait bien d’écrire librement sur son parcours en revues, de Change à latitudes. C’est une manière, confraternelle, chaleureuse, admirative aussi, d’entendre les échos qu’il laisse et qui nous accompagnent. 

 

Au début de l’été 1975, je n’ai pas encore vingt ans, je tombe sur n° 23 de Change, Monstre Poésie, curieusement en évidence sur un étal d’une maison de la presse en bord de mer. Quelques pages intrigantes, dont celles de Paul Louis Rossi, me font l’acheter malgré mon peu d’argent en poche. Fin juillet, je rencontre pour la première fois Claude Ollier pour lui montrer une série de grands dessins à la plume, en écho à son livre Our ou vingt ans après : partitions graphiques, à la frontière de la musique et des arts plastiques, pouvant devenir support à diverses actions instrumentales. Au fil de la conversation, Ollier me dit se sentir proche de Jean-Pierre Faye et des membres du collectif qu’il anime. Il m’encourage vivement à frapper à leur porte.

 

Fin décembre, je me rends au local de Change, rue de Seine, avec mon carton à dessin sous le bras. Jean-Pierre Faye s’y trouve, en compagnie de Mitsou Ronat. Il m’embarque immédiatement dans l’aventure, me proposant d’exposer tout d’abord une partition dessinée de petit format au premier étage de la librairie La Hune pour la sortie du n° 26-27, La Peinture. Puis une autre, plus grande, dans le cadre des « Journées Change » en novembre 1976 à la Maison de la Culture d’Amiens. Jusqu’à son éclatement, je participerai à toutes les manifestations de Change.

 

Paul Louis Rossi, 1985 © Catherine Marchadour

 

Après mon premier passage rue de Seine, y revenant ou me déplaçant sur d’autres lieux d’échanges, je rencontre peu à peu les membres, et les proches, du collectif, à commencer par Rossi dont les écrits – que ce soient les poèmes de Cose Naturali ou son essai sur Albrecht Altdorfer et la guerre des Paysans en Allemagne – m’attirent grandement. La relation qu’il entretient avec la peinture, ancienne ou contemporaine, m’incite, dès notre première rencontre le 23 février 1976 à La Hune, à lui proposer de composer ensemble un Atelier de Création Radiophonique (émission « d’essai » de France Culture). C’était au temps où enregistrements, montages et mixages, étaient âpres et rudes – à des années lumières de ceux d’aujourd’hui. À la fin de l’année, cet A.C.R. un peu à part, ne serait-ce que parce que la quasi-totalité des textes étaient lus par de non-comédiens (ce qui, en principe, ne se faisait pas), était en « prêt à diffuser ». Son titre : Machinations.

 

Avec ce n° 26-27 de Change, Rossi est enfin agrégé au Collectif ; mais sa participation à la revue remonte au n° 8, Oppression violence (printemps 1971), initié par Jean-Claude Montel, qui dévoile un premier état d’un de ses ouvrages majeurs, Suppléments aux voyages de Jacques Cartier (prévu pour la collection « Change » chez Seghers/Laffont, mais finalement publié en 1980 chez Hachette / P.O.L, sous le titre Le Potlatch). Et n’oublions pas que la première revue dont Rossi fut, à partir du n° 28-29 d’octobre 1965, membre du comité de rédaction, est Action Poétique. En cette fin des années 1970, les rencontres se faisaient volontiers à La Répétition, la librairie d’Élisabeth Roudinesco, rue Saint-André-des-Arts.

 

Fin novembre / début décembre 1978, dans le cadre de quatre soirées organisées par Action Poétique à la Maison de la Culture d’Amiens (de nouveau), Paul Louis Rossi a l’idée d’exposer huit artistes (Joël Drouilly, Pierre Getzler, Jean-Pierre Marchadour, Claude Nourry, Dominique Pautre, Gaston Planet, Patrick Rosiu, Christian Rosset) sous l’intitulé un peu ironique Américains provisoires. Dans son n° 77 (mars 1979), Action poétique en propose une sorte de résumé : un dessin pour chaque exposant et trois textes de Liliane Giraudon, Didier Pemerle et Paul Louis Rossi : « Indiens des zones et des métropoles, nous le fûmes aussi à notre tour. Ce n’est donc pas la surprise. […] Dans notre paysage inconscient, la surprise : c’est la respiration. Quelque chose est donnée à nos yeux d’un seul coup de l’espace que la raison du vieux Monde ne peut pas penser. »

 

À l’automne 1979, Philippe Boyer, Jean-Claude Montel, Didier Pemerle et Paul Louis Rossi quittent avec fracas le « Collectif Change », imaginant créer rapidement une nouvelle revue. Ils m’embarquent dans l’aventure. Je me souviens de séances de réflexion à la recherche d’un nom – Compost a été envisagé. Mais rien n’est sorti de cette agitation, en dehors de quelques publications éphémères.

 

 

Mai 1980. Colloque « Pratiques, identité » et exposition Video Ergo Sum au Centre Culturel Français de Rome (avec douze artistes, dont la majorité des « Américains provisoires » – Montel signe cette fois la préface du catalogue). En écho à ces journées est publié le n°3 d’un journal de quatre pages, format 34,5 x 49,5 cm : Le Narraté Libérateur, dont la directrice est Martine Dufour. Le rédacteur en chef de ce numéro est Claude Ollier (ceux des numéros 1 et 2 avaient été, respectivement, Bernard Dufour et l’équipe d’art press). Huit auteurs au sommaire : Ollier, les quatre dissidents de Change, Emmanuel Hocquard, Bernard Noël et Denis Roche. En gros caractères : VRAI GROUPE OU FAUX (sans point d’interrogation). Paul Louis Rossi y écrit : « Comment faire comprendre l’immense répulsion qui vous saisit devant toute forme d’expression. Comment faire admettre et partager cette horreur des livres des spectacles et des surfaces peintes. Toutes les accumulations des bibliothèques des Musées et des pinacothèques. Horreur. Il faut patiemment faire le chemin inverse. Effacer patiemment les discours repasser de l’écriture et regarder les trous. »

 

23 Août 1981. Le peintre Gaston Planet meurt à l’âge de 43 ans. Quatre ans plus tard une Association des Amis de Gaston Planet est constituée dans le but de publier des Cahiers dont la rédaction et la mise en page sont confiées à Catherine Marchadour et Paul Louis Rossi. Trois numéros de latitudes format A5 sortiront : le premier de 16 pages (septembre 1985), les deux suivants de 32 pages (juin 1986, mai 1987). C’est un bel objet, sobre, élégant. Mes entretiens avec le peintre paraissent dans le n° 2. Dans le n° 3, entièrement consacré à sa peinture, avec des contributions de Pierre Lartigue, Claude Ollier, Georges Charbonnier, Marie Étienne, Michel Nuridsany, Yves Deloule, Emmanuel Debarre, Paul Louis Rossi remarque que : « L’artiste montre et se dissimule dans le même temps. […] Cette chose : la peinture, elle peut refuser la profondeur – et parfois il le faut – et quand malgré tout elle se montre, je voudrais dire : elle aspire tout autant à se cacher. » Ça lui ressemble bien – et c’est pour cela que l’accord était total, non seulement avec Planet, mais entre nous tous.

 

latitudes, faute de moyens, ne publiera pas de 4e numéro ; mais Rossi aura réalisé son vœu de diriger un journal ou une revue. Notons pour finir qu’il avait déjà fait imprimer en janvier 1983 une « feuille de chou » de 22 x 45 cm pliée deux fois, de manière à obtenir un journal de 6 pages, L’Illustre du soir (mise en page et dessins de Patrick Rosiu), imprimé sur divers papiers de couleur – tandis que latitudes l’était sur centaure ivoire : un artisanat aussi modeste que furieux ; aussi discret que manifeste.

 

Christian Rosset

 

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