Vacarme

par José M Ruiz-Funes
1997, in La Revue des revues n° 23

Voici une revue qui se donne la peine d’expliquer sa démarche et de s’assurer les moyens pour l’inscrire dans la durée et la continuité. Il est vrai que, par les temps qui courent (les récents événements politiques en France ne font que confirmer une tendance générale à la réaction comme facteur déterminant du comportement citoyen), se définir comme journal politique, culturel et, qui plus est, de gauche exige une détermination que certains n’hésiteront pas à appeler témérité. Les responsables de Vacarme semblent en être conscients et vouloir couper court à tout ricanement ou haussement d’épaules d’un lectorat quelque peu blasé des grands projets et des grandes idées. Un faux numéro zéro de 32 pages publié en mai 1996 servait à présenter l’orientation de la revue d’une manière aussi sobre que précise.
D’un côté, il était question de politique des désirs et de révolution, de renoncement lucide au rêve des lendemains qui chantent car « le réel présent suffit à notre tâche », de pragmatisme révolutionnaire, de la culture comme quelque chose d’inextricablement mêlée à la politique et vice-versa, de minorités, de lutte et de critique non pas globales mais résultant d’une confluence entre envies, résistances et créations par définition disparates, de micropolitique… De l’autre, il s’agissait de mettre tout cela dans une revue ; de donner corps et voix réels à un discours déjà théorisé, mais qui « ne semble pas encore avoir pénétré dans l’espace public pour cesser d’être une philosophie ou une recherche ésotériques » ; d’ouvrir une caisse de résonnance aux nouvelles manières de résister, d’inventer et de produire. On n’oubliait pas de demander le soutien rédactionnel et/ou matériel de tous ceux intéressés dans une telle entreprise.
Servis par une maquette intelligente et attirante, les deux numéros publiés depuis lors (février/mars et avril/mai 1997) semblent avoir réussi à tenir les promesses d’une déclaration programmatique très argumentée. Se tenant aux cinq grandes rubriques qui rythment le contenu de la revue, et qui se voulaient l’écoulement naturel des intentions affichées, Vacarme fait entendre une sonorité discordante ou, plutôt, laisse se parler un ensemble de voix pour devenir une espèce de bourdonnement plaisant contre le(s) discours dominant(s). À titre d’exemple, « Chantiers de Vacarme », « moins une suite arbitraire de grands dossiers qu’une série de problèmes reposés numéro après numéro », s’est d’abord intéressé à la santé en tant que domaine exemplaire où s’entrecroisent vie privée et décision politique ; dans le deuxième numéro, ce fut le tour de la télévision, de son usage politique possible, de sa valeur créative… La rubrique « Les sujets de l’histoire » s’est ouverte aux témoignages et luttes des réfugiés de tous bords échoués dans le « paradis » occidental, ainsi qu’à une critique en règle d’une politique d’immigration qui a du mal à cacher ses vrais objectifs repressifs (réflexion prolongée dans quatre pages rageuses encartées dans le deuxième numéro). Mais aussi au rôle des médiateurs dans le réglement des conflits à tous les niveaux de l’échiquier politique et social. La section « Démocratie » a analysé le processus de paix en Palestine, la politique d’aménagement urbain en France ou la situation en Algérie. Quant à la rubrique « Minorités », présentée par les rédacteurs comme ouverte à ces nouveaux combats politiques « où les pouvoirs s’affrontent à ce qui leur résiste », elle a d’abord donné la parole à « la minorité qui nous attend » : ces vieux que la revue nomme, en toute connaissance de cause, avec un terme politiquement incorrect. Pour sa deuxième livraison, elle est allée à la rencontre des sourds regroupés dans le collectif Sourds en colère, qui revendique la reconnaissance de la langue des signes comme constitutive d’une identité trop souvent bafouée par l’oralisme et par une approche strictement médicale de leur situation.
Finalement, une section consacrée à la création « sous toutes ses formes » s’offre comme tribune « à tous ceux qui revendiquent et produisent un peu plus de joie, un peu plus d’air : artistes, écrivains, scientifiques, artisans, militants… ».
Tout cela fait un beau vacarme, d’autant que le point de vue de la rédaction, qui n’arrive pas toujours à éviter quelques envolées un peu trop journalistiques, se voit toujours confronté à cette parole donnée, à ces mots justes ou outrés directement sortis du cours des conflits et des espoirs, et prononcés par des gens bien réels dans leurs combats de tous les jours. De ce brassage voulu entre certains principes clairement posés et leurs formes possibles de concrétion quotidienne résulte alors comme une bouffée d’air frais, un « interstice » qui veut rappeler « que si l’on n’étouffe pas encore, c’est qu’on a pris le pli de respirer moins bien. »
Avec ce début prometteur, la revue devrait pouvoir atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés : durer et devenir un mensuel distribué en kiosque. Pour cela, elle sollicite le soutien des lecteurs se reconnaissant dans le projet. Il reste alors à souhaiter que le passage à une périodicité plus courte ne comporte ni la perte du décalage salutaire face à l’actualité dont se prévalent ses responsables, ni le reniement de la citation figurant en exergue de leur manifeste: « La liberté de la presse, c’est la liberté, pour la presse, de ne pas être un métier. »


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