« Pour une science plus ouverte » –
Il arrive qu’une fête d’anniversaire soit l’occasion d’apprendre et de réfléchir. Ce fut le cas le 15 novembre dernier sur le Campus 1 de l’université de Caen-Normandie. Pour célébrer les quarante ans de leur création, les Presses universitaires de Caen ont organisé une journée d’étude intitulée : « Éditer, publier, diffuser. Pour une science plus ouverte ». Plutôt que de céder à l’auto-célébration, la structure éditoriale dirigée par Laure Himy-Pieri préféra proposer un panorama des actions menées en vue de développer une politique éditoriale résolument tournée vers l’open access. La journée permit de faire dialoguer acteurs de l’université de Caen, représentants du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, de la FMSH et d’autres universités (Besançon, Dijon). Dans la réorganisation du champ de l’édition scientifique universitaire, une place des choix est réservée aux revues.
Après un panorama général de l’édition scientifique et des politiques d’ouverture de la science, plusieurs interventions se centrèrent sur le sujet : Guillaume Lelièvre et Viviana Agostini-Ouafi évoquèrent la revue Transalpina publiée par les PUC, Nicolas Boileau exposa le projet de pépinière de revues scientifiques porté par la ComUE Normandie Université. Anabel Vazquez (CNRS) présenta enfin Mir@bel, outil crée en 2009 pour faciliter l’accès aux revues en ligne : plus de 20.000 titres signalés, 120 établissements partenaires, 340 professionnels contributeurs.
La mutation numérique aura donc in fine été très favorable au développement des revues. Leur importance comme actrice incontournable de la diffusion des savoirs en sort plus que jamais renforcée. Le travail accompli par les Presses universitaires de Caen en est l’un des témoins.
Vingtième siècle a 40 ans –
Autre anniversaire célébré par une acte de savoir : celui de la revue Vingtième siècle, récemment rebaptisée 20 & 21, revue d’histoire. Les bougies furent soufflées au festival de Blois, le cap est marqué par un numéro spécial revenant sur quatre décennies de défense et illustration de l’histoire contemporaine.
Dans son entretien avec Olivier Wieviorka, Jean-Pierre Rioux revient sur la création de la revue et sur l’esprit qui l’animait :
« La revue a été une amitié active et non un exercice d’école à inscrire dans le paysage académique. Elle n’était donc ni nécessaire ni, bien sûr, suffisante. Tout bonnement, elle voulait donner une preuve supplémentaire et quasiment militante que l’amitié avait été et restait le moteur d’une revue. Nous savions tous combien ce ressort fut déterminant pour Les Cahiers de la quinzaine, les Annales, Esprit ou Le Mouvement social. Et d’ailleurs, en lançant Autrement en 1975, L’Histoire et Commentaire en 1978, H. Histoire en 1979 puis Le Débat en 1980, Henry Dougier, Michel Winock, Jean-Claude Casanova, Laurent Theis et Pierre Nora venaient de nous confirmer que l’idée restait vivace.
J’ajoute que beaucoup d’entre nous avaient trempé et trempaient encore dans des aventures intellectuelles de ce genre. »
Dans ce numéro anniversaire, la jeune garde revient sur la trajectoire de la revue et sur les nouvelles thématiques qui émergent. Christophe Granger et Marie-Bénédicte Vincent résument les trois grands axes de ce numéro : « rappeler les fondements intellectuels de la revue, réfléchir à la pratique de l’histoire à l’épreuve du changement de siècle et sensibiliser à la vie des revues à l’heure de la révolution numérique ». Quoi de plus utile alors que d’aller consulter les archives ? Anna Trespeuch-Berthelot s’est donc plongée dans le fonds de la revue confiée à l’Imec pour retracer l’histoire de Vingtième siècle, son fonctionnement, ses animateurs et ses animatrices, ses grandes heures au rythme de l’évolution de la discipline historique – et au nom d’une approche ne s’interdisant jamais d’interroger le temps présent. Une nouvelle apologie pour l’histoire : l’héritage de Marc Bloch est bien vivant !
Mil neuf cent avec Jacques Julliard –
Restons en cet ultime quartette de l’an 24 sur les « territoires des historiens ». La revue Mil neuf cent salue la mémoire de son fondateur, l’historien, journaliste et essayiste Jacques Julliard. Avant tout, c’est à l’historien que la « revue d’histoire intellectuelle » consacre ses analyses mêlées de témoignages personnels et de réflexions. Christophe Prochasson et Anne Rasmussen l’annoncent d’emblée dans leur avant-propos : pour Julliard « rien de l’homme en société, rien du tumulte politique ni de l’aventure intellectuelle ne pouvait être compris sans un recours constant, subtil, passionné à l’histoire, sacrée reine des sciences humaines ».
Avec Annie Kriegel, Jacques Ozouf, Michelle Perrot ou Madeleine Rébérioux, Julliard fut en effet de la « petite phalange » des jeunes historiens rassemblés autour d’Ernest Labrousse, « maître de l’historie sociale en Sorbonne », pour élaborer une histoire du monde ouvrier. Une petite revue les accueille : Actualité de l’histoire, modeste bulletin de l’Institut français d’histoire sociale fondé en 1951 par Jean Maitron (devenue en 1960 Le Mouvement social). Contrairement à ses camarades, Julliard aborda le sujet par la biographie, en s’intéressant à la figure de Fernand Pelloutier. L’histoire des idées s’imposa rapidement comme sa « grande affaire » – il participe d’ailleurs à la revue Esprit dès 1956. Christophe Prochasson interroge le type d’histoire des idées que Julliard mit en œuvre pour « éclairer la ”gauche” » : une histoire qui ne fait pas abstraction des engagements de l’historien (membre de la CFDT, du PSU et de la revue Faire). Marion Fontaine, Emmanuel Jousse déploient différentes analyses de son ouvrage majeur sur Les Gauches françaises (2012). Gilles Candar rappelle la quadripartition julliardienne des gauches : libérale, jacobine, collectiviste et libertaire. Au fil du numéro, se dessine le portrait d’un indiscipliné, d’un historien inclassable, mécontemporain (il compte parmi les contempteurs du « wokisme »), « socialiste religieux », « proudhonien invétéré » se plaçant dans le sillage de Charles Péguy, Georges Bernanos ou Simone Weil.
Parmi les articles de ce numéro hommage, celui de Françoise Mélonio apporte un éclairage utile sur l’arrière-pays littéraire de Jacques Julliard, grand lecteur, époux de Suzanne Julliard, professeure de lettres à qui l’on doit une belle anthologie de poésie française.
Nul doute que ce numéro de Mil neuf cent constituera, comme le dit Michelle Perrot, les « premières marches » d’une « biographie contrastée » qui reste à écrire.
Brasero persiste et signe –
Et de 4 ! Brasero, la revue joyeuse et colorée des éditions de L’Échappée revient comme chaque année à l’approche des fêtes de Noël. Graphisme éclatant et sommaire bigarré où l’on croise la communauté bohême allemande de la Neue Gemeinschaft, Simon Leys, la belle Otero, les luddites, la citoyenne Sorgue, la chanteuse Yvonne George, des boxeurs et des écrivains, une voyante vichyste, des anarcho-eugénistes, des constructivistes et des mentalistes.
La merveilleuse Jeanine Warnod, dans son entretien avec Cédric Biagini, fait se lever les souvenirs de la Belle époque et des années folles, de la bohème de Montmartre et de Montparnasse, des Quat’z arts, de son père André Warnod et de ses amis Dorgelès, Carco, Mac Orlan, mais aussi Zadkine, Chagall et Poulbot…
Toujours à la pointe de l’histoire de l’édition, du livre et du graphisme éditorial, Brasero propose aussi un article de Chantal Aubry sur les éditions du Scorpion (l’éditeur de J’Irai cracher sur vos tombes) et Léa Perrier signe un passionnant article sur la famille Peignot, célèbres typographes et fondeurs de caractères au plomb qui « ouvrirent la typographie et l’imprimerie aux innovations artistiques et techniques » de leur temps. L’autrice, en master d’histoire, signe ici son premier article. Premier essai réussi et richement illustré. Voilà qui s’annonce prometteur ! Sur ces sujets, Brasero est un foyer et une pépinière de talents !
François Bordes
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