Librairie éphémère

Vendredi soir, message de l’ami Chabin. Il fait suivre une invitation de l’équipe de L’Insatiable (émanation, rappelons-le, de la revue Cassandre/Horschamp). Le lendemain doit se tenir à Montreuil une expo-vente de revues dans les locaux occupés pour quelque temps encore, avant la fin de leur bail en mai, par le collectif de la Parole errante. « Grande braderie de revues et d’éditeurs indépendants », est-il annoncé. Bonnes affaires et rencontres en vue, et je n’étais même pas au courant, moi qui pourtant me pique d’avoir un radar à revues assez sophistiqué… Samedi, me voilà donc rue François-Debergue (ce Debergue (1810-1870), jardinier de son état, a saboté à coups de sécateur le fil du télégraphe reliant Bougival, alors sous occupation prussienne, à Versailles. Pour cela, les soldats prussiens l’ont fusillé, dixit Wikipédia, notre Maître Capello 2.0). Que je vous parle encore un peu de cette rue : s’y trouve la Maison dite de l’Arbre, où vit toujours le désormais nonagénaire Armand Gatti. Tout du long des murs qui l’entourent, des collages-citations, des affiches-tracts citant tel ou tel propos de l’homme de théâtre. Là, les murs ont la parole, comme on disait à une certaine époque soixante-huitarde. Les locaux de La Parole errante – paraît-il sur l’emplacement des anciens studios de Georges Méliès – jouxtent donc d’un côté la demeure de Gatti et, de l’autre, le café-librairie de Michèle Firk, un lieu associatif bien connu des Montreuillois. Grand entrepôt, l’endroit, m’a-t-on dit, appartient au Conseil départemental qui incessamment sous peu va le récupérer. J’y entre. Assise sur un muret, une femme (de faux airs de l’actrice Veronica Lake dans Ma femme est une sorcière, 1942) tire sur une cigarette et fait des ronds de fumée (je pourrais me mettre à cloper rien que pour savoir faire ça !). À l’entrée, des piles de livres en libre-service : « Servez-vous c’est gratuit », est-il écrit sur une feuille A4 que les courants d’air font flotter comme un drapeau blanc. Je jette un œil. Tiens, quelques trucs m’intéressent. La politesse veut qu’il y en ait un peu pour tout le monde, alors modération. Je m’autorise à prendre une seule chose : un numéro de Jeu, la revue de théâtre québécoise. À l’intérieur, dans la grande salle, on ne se bouscule pas, hélas. Plus d’exposants, derrière des tables qui font office de stands, que de visiteurs ; j’arrive peut-être pendant une heure creuse. Il y a là Portrait, Sakamo, Migrance, Gruppen, L’intranquille, Jef Klak, Clafoutis, Tout, Z et d’autres encore. Je fais quelques achats de revues toutes nouvelles : Demain les flammes, Nunatak (sous-titre : « revue d’histoires, cultures et luttes des montagnes ») et Les Cahiers d’enquêtes politiques, car je collectionne les nos 1 comme le cancre, au fond de classe, les zéros. J’achète aussi un exemplaire des Cahiers Armand Gatti consacré à ses écrits journalistes (il faut relire ses papiers, pour Paris-Match, sur Hemingway, Louison Bobet, Gérard Philippe…). Quelques accolades données ça et là, et d’abord aux amis Chabin et Kéravec, puis je m’éclipse. Vers la bouche de métro, station Croix-de-Chavaux, le rideau de fer d’une boutique inoccupée voit se superposer toutes sortes d’affiches, dont certaines partent en lambeaux : films à l’écran, annonces de one-man-show, dazibao anarchisant, pubs pour un shampoing ici, pour un parfum là, affiches électorales… Tout ça forme une manière de cadavre exquis visuel. Décidément, les murs de Montreuil ont le sens de l’impro.

 

Léo Byne